Les Jeux olympiques de 1928 et 1948

Une histoire du ski en Suisse (6/10)

Par deux fois, la commune de St. Moritz va accueillir les Jeux olympiques d’hiver, en 1928 et en 1948. En 1928, il s’agit alors de la deuxième édition de l’événement après les Jeux de Chamonix en 1924. Paradoxalement, les Jeux de 1928 seront les seuls – presque de manière prémonitoire – à voir une épreuve sportive être annulée en raison d’une trop forte chaleur, en l’occurrence l’épreuve du 10’000 mètres de patinage de vitesse qui avait lieu sur le lac gelé. Vingt ans plus tard, à peine deux ans et demi après la fin de la Seconde Guerre mondiale, à l’hiver 1948, le programme s’enrichit des épreuves de ski alpin – absente encore en 1928 –, mais de facto, le format de l’événement reste proche de celui de 1928, avec 10 jours de compétitions et des infrastructures toutes déjà là vingt ans plus tôt. Il nous faut ajouter aussi que sans le déclenchement de la guerre, St. Moritz aurait organisé l’édition de 1940.

Les Jeux olympiques de 1928

Si Chamonix a rencontré des difficultés pour équilibrer les comptes de l’édition de 1924, la situation semble toute différente vers une candidature pour les jeux d’hiver de 1928 « puisque St. Moritz possède déjà de meilleures infrastructures » – selon les archives consultées – et c’est bien l’enthousiasme qui semble dominer à ce moment précis. Dans les faits, les processus de désignation des villes-hôtes des Jeux Olympiques dans l’entre-deux-guerres sont encore relativement informels, et les délais d’élection (moins de deux ans avant l’organisation) empêchent des planifications très importantes de la part des villes candidates. Dans le cas de St. Moritz, la désignation intervient lors de la Session du CIO de mai 1926 à Lisbonne, où la commune de Haute-Engadine s’impose alors notamment face à Davos et à Engelberg.

Vue aérienne de St. Moritz, fin des années 1920 © ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv/Stiftung Luftbild Schweiz / Fotograf: Friedli, Werner / LBS_MH01-006693

Dans ce cadre, les logiques de l’organisation des jeux olympiques vont croiser les logiques de développement de la station, qui va voir une vraie reprise de la fréquentation touristique au cours des années 1920, ce dont profitent certains hôteliers pour adapter leurs tarifs et augmenter leurs profits. Ainsi, selon les prospectus touristiques consultés pour la décennie 1920, les tarifs augmentent surtout pendant les années 1920 à 1925 à raison de presqu’un franc de plus par nuit et par année pendant ces cinq années. En revanche, une certaine stabilité s’installe après 1925, bien que celle-ci doive aussi se lire à l’aune de la diversification de l’offre hôtelière au sein de chaque établissement, désormais capable d’assurer chauffage, bain et électricité selon des suppléments offerts aux clients à la recherche de ces avantages. La modernité technique s’installe à la montagne dans ces années-là.

Dans les jours qui précèdent, les Jeux olympiques l’activité est importante à St. Moritz où l’on met un point d’honneur à assurer les derniers détails de l’organisation. Le jeudi 9 février, soit l’avant-veille de l’ouverture, arrivent les premières délégations et notamment celle du président du CIO, M. de Baillet-Latour, accompagné des membres du comité, notamment le Baron Godefroy de Blonay, le représentant suisse, et le Colonel Berdez, ce dernier secrétaire du CIO. A ces dirigeants sportifs s’ajoutent les représentants du Conseil fédéral, notamment Edmund Schulthess et Karl Scheurer, respectivement président de la Confédération et chef du Département militaire fédéral. Tous sont alors logés au Palace, ils peuvent d’emblée découvrir, l’activité qui règne dans la cité grisonne et ses alentours. En effet, les délégations d’athlètes sont arrivées pour certaines trois semaines plus tôt pour parfaire leurs entraînement et assurer une bonne acclimatation.

Le vendredi 10 février, la tension monte encore d’un cran, sous le soleil légendaire de l’Engadine et alors que les conditions de neige sont parfaites. Les diverses commissions du Comité exécutif tiennent alors leurs dernières séances préparatoires, les jurys se rencontrent pour établir leurs fonctionnements et prendre connaissance des listes des athlètes engagés, de la même manière quelques ordres de passage sont tirés au sort, tout comme les poules du tournoi de hockey qui vont voir la Suisse affronter l’Autriche et l’Allemagne.

Avec une seule médaille – de bronze – dans le cadre de l’épreuve de hockey sur glace, la délégation suisse ne peut pas véritablement se mettre en avant, mais il ne semble pas que cela affecte grandement l’affluence lors des épreuves. En effet, ce sont plus de 40’000 tickets qui sont vendus pendant la durée des compétitions, soit quatre fois plus qu’à Chamonix en 1924, dont près de la moitié pour les rencontres de hockey sur glace. Avec 18 rencontres, il faut dire que le tournoi de hockey offre de nombreuses occasions de venir prendre place dans le stade olympique, installé dans les jardins de l’hôtel Kulm.

Hockey sur glace, stade olympique, 1928 © ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Unbekannt / Fel_013398-RE

La première réaction à l’observation d’images des Jeux olympiques de 1928 est souvent de se dire qu’il y avait là des « petits Jeux ». Si la comparaison que l’on fera spontanément avec les compétitions de la fin du 20ème siècle ou du début du 21ème entraine presque mécaniquement ce qualificatif, à y regarder de plus près, les Jeux de 1928 ne sont pas si petits. Deux exemples illustrent cela : premièrement, au-delà des 500 athlètes, avec près de 1’000 officiels (dirigeants et journalistes), la commune accueille une foule comptant pour 40% de sa population résidente, en plus des touristes habituelles qui restent pendant les Jeux ; deuxièmement avec des comptes clôturés (et équilibrés) autour de CHF 750’000.-, ces Jeux ont coûtés l’équivalent d’une année du budget de la commune. Si bien évidemment la commune n’a pas abondé 100% du budget, cela pose aussi des éléments sur l’emprise de l’épreuve dans une région.

Les Jeux olympiques de 1948

Une fois les armes réduites au silence, le monde va lentement retrouver son quotidien d’avant-guerre, d’abord à travers des films et des activités sportives de proximité, mais dès l’hiver 1945-1946, il redevient possible de faire un peu de tourisme à plus longue distance et de refaire du ski. Pour les organisations sportives internationales, il devient alors aussi à nouveau envisageable de planifier des compétitions majeures. Les Jeux olympiques à St. Moritz en 1948 seront la première véritable réunion sportive internationale, un véritable test pour un ordre international ébranlé et en pleine reconstruction.

Localement, des discussions autour de l’organisation de Jeux Olympiques démarrent dès l’automne 1945 – peut-être dès le printemps 1945, selon certaines sources locales non-concordantes –, dans une discussion entre les autorités des villes de Lausanne et de St. Moritz, mais aussi par l’entremise de différents articles de presse annonçant une désignation à venir. Dans cette période de reprise des relations internationales sportives, les fédérations internationales souhaitent surtout rapidement relancer leurs événements et les candidatures sont alors surtout « spontanées ».

Dès la fin du mois d’août 1945, à l’occasion d’une réunion du comité exécutif du CIO qui se tient à Londres, deux villes, St. Moritz avec Lake Placid, figurent parmi les possibles lieux d’organisation des Jeux olympiques d’hiver pour 1948. Au départ, les Etats-Unis d’Amérique sont un possible lieu pour les Jeux d’été de 1948, mais les dirigeants olympiques se prononcent rapidement contre cette possibilité, en raison des difficultés de transport que cela induirait. De surcroît Londres aurait dû accueillir les Jeux de 1944, alors que Lausanne aurait été un choix en lien avec un vieux souhait de Pierre de Coubertin pour des Jeux au bord du lac Léman. A Londres, il n’y a pas de désignation formelle, mais décision est prise de solliciter un vote par correspondance, lequel est confirmé par un courrier de Siegfried Edström qui en février 1946 indique que St. Moritz a été choisi – face à Lake Placid – par une très large majorité des votants.

Si l’on revient en Engadine, les démarches se poursuivent dans le cadre d’une réunion organisée sous l’égide de l’Office du tourisme, dès le 16 janvier 1946, avant même une quelconque officialisation par le CIO, pour les acteurs locaux intéressés à une organisation olympique.

Officiellement attribué en septembre 1946, les Jeux olympiques d’hiver de 1948 doivent donc se préparer en un peu plus de 16 mois, un délai très court malgré l’existence dans la commune grisonne de toutes les installations depuis les Jeux de 1928. Si le président de la Commune est encore en place depuis 1928 cela ne constitue pas le moindre des héritages compte tenu de la situation financière de St. Moritz et vers un nouvel événement aussi influencé par un contexte géopolitique singulier où des menaces de boycotts se joignent à des interdictions de participer.

Téléphone corner de l’Olympia Bob run, 1965 © ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Metzger, Jack / Com_L14-0031-0114A

Présent dans le programme olympique depuis 1936, le ski alpin s’impose dès sa deuxième apparition comme le sport majeur du programme des Jeux d’hiver. A St. Moritz, il se déploie sur six épreuves au total offrant trois compétitions aux skieuses et trois compétitions aux skieurs (slalom, descente et combiné) et ces compétitions vont rassembler plus de 16’000 spectateurs (sur un total de près de 60’000 pour l’ensemble de la semaine), soit plus du double des rencontres de hockey sur glace pourtant au nombre de 36 et organisées du 30 janvier au 8 février.

Avec 10 médailles (3 en or, 4 en argent et 3 en bronze), la Suisse se classe au troisième rang du tableau des médailles de ses Jeux olympiques, et il ne manque qu’une médaille d’or pour égaler les palmarès de la Suède et de la Norvège, encore aux deux premières places. Six des dix médailles helvétiques sont obtenues dans les compétitions de ski alpin, les autres sont une médaille de bronze en hockey sur glace, l’or et l’argent dans l’épreuve de bobsleigh à deux et le bronze de Hans Gerschwiler dans l’épreuve masculine individuelle de patinage artistique.

Le public au pied du tremplin de saut à ski © ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Unbekannt / Ans_15315-179-AL-FL

« Les succès obtenus à St. Moritz, et davantage encore les épreuves où nous avons échoué, doivent engager les Fédérations suisses de sports d’hiver à entreprendre à temps la préparation des Jeux olympiques d’hiver qui se dérouleront à Oslo en 1952. Cela est d’autant plus nécessaire que nos compétiteurs sont des amateurs qui, jour après jour, accomplissent leur travail professionnel et ne jouissent que de loisirs limités. Malgré cela, la préparation pourra atteindre son but et promettre des succès, si elle est entreprise méthodiquement et assez tôt, comme cela a été le cas pour les concours de St. Moritz. »

ASO, Documents des participations suisses aux Jeux olympiques, Dossier des Jeux olympiques de 1948, rapport sur la participation suisse au Ve Jeux olympiques d’hiver, Saint-Moritz 1948, p. 16.


Cette histoire et beaucoup d’autres sont à retrouver dans l’ouvrage Le ski en Suisse, une histoire, paru début décembre 2023, sous la direction de Grégory Quin, Laurent Tissot et Jean-Philippe Leresche, aux éditions Château & Attinger.

Par ailleurs, tout au long de l’hiver, vous pourrez trouver différentes histoires dévoilées dans le cadre de ce blog, tous les quinze jours, selon le calendrier suivant:

1er novembre 2023 – Swiss Ski, une organisation plus que centenaire

15 novembre 2023 – Les remontées mécaniques: petite histoire de la fabrication des domaines skiables en Suisse

1er décembre 2023 – Les monitrices et les moniteurs, ces héros de l’hiver

15 décembre 2023 – Ski et tourisme… au-delà de la quête de l’or blanc

1er janvier 2024 – Le Lauberhorn, la reine des courses

15 janvier 2024 – Les Jeux olympiques de 1928 et 1948

1er février 2024 – Les camps de ski, ou la clé de voute de la démocratisation d’un sport national

15 février 2024 – Les héroïnes et les héros du ski

1er mars 2024 – Le Marathon d’Engadine

15 mars 2024 – Les canons à neige

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