Les héroïnes et les héros du ski

Une histoire du ski suisse (8/10)

Courses du Lauberhorn, 1984 © ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Comet Photo AG (Zürich) / Com_LC1465-010-026

Après les grandes heures du ski suisse des années 1970, 1980 et 1990, il est évidemment complexe de continuer à briller comme « nation du ski » et à occuper la première place des compétitions internationales, surtout sous la dynamique double du renforcement de la domination autrichienne et d’une internationalisation de la participation, à la fois dans les disciplines « traditionnelles » mais aussi dans les disciplines plus récentes autour du freestyle ou du freeride.

Défago, Cuche et Cologna

Les deux « Didier », Cuche et Défago, incarnent incontestablement le ski suisse du tournant des années 2000, et chacun à leur manière – bien qu’échouant à remporter le classement général de la Coupe du monde (Didier Cuche se classe cinq fois troisième et une fois deuxième (durant la saison 2010-2011) dans ce classement) – il vont développer une manière bien à eux de skier, avec, au milieu de palmarès pléthoriques, un succès olympique en descente en 2010 pour Défago et le record du nombre de victoires à Kitzbühel (cinq victoires) pour Cuche. Du reste, Didier Cuche est désigné « Suisse de l’année » en 2011.

Dario Cologna lui succède en 2012, l’année de son troisième globe de cristal. Après une saison exceptionnelle, le fondeur grison remporte, pour la troisième fois, le classement général de la Coupe du monde avec un nombre de points historique et le « Tour de ski » pour la troisième fois également. Des performances qui le place parmi les plus grands de son sport. En effet, si le nordique souffre parfois d’une moindre exposition médiatique, il existe en Suisse un vivier important de skieuses et de skieurs, qui profitent d’infrastructures excellentes depuis de longues années, notamment à Davos avec le centre national de performance inauguré en 2003 ou à Kandersteg où la « Nordic Arena » a été rénovée en profondeur entre 2013 et 2016.

Incontestablement boosté par les performances de Dario Cologna et au-delà de représentations parfois un peu vintage ou trop exigeant physiquement, le ski de fond connaît un fort développement dans les années 2010 – peut-être le plus important de la sphère du ski (ou de la glisse) – avec notamment des croissances annuelles à deux chiffres en termes de vente de matériel autour de 2015, mais aussi un attrait pour les skis-clubs. S’il s’agit avant tout d’une pratique ludique, les jeunes sont aussi de plus en plus nombreux à s’inscrire dans les courses populaires. Une fois n’est pas coutume, le Covid-19 a été une aubaine, puisque durant l’hiver 2020-2021, le nombre de forfait de ski de fond vendus augmente de près de 50% pour atteindre 48’139 unités.

Gut-Behrami … jusqu’au ‘Bec des Rosses’

Première skieuse helvétique vainqueur du gros globe de cristal depuis Vreni Schneider en 1994-1995, Lara Gut-Behrami s’adjuge le principal titre de la saison 2015-2016, devenant aussi « sportive suisse de l’année » pour 2016. Déjà habituée des podiums depuis le début des années 2010, elle est double championne du monde en 2021 (en Super-G et en géant) à Cortina d’Ampezzo, avant de remporter le titre olympique à Pékin en Super-G en 2022.

Fanny Smith compte parmi les légendes de son sport – le skicross – totalisant notamment 31 victoires en Coupe du monde, mais aussi cinq médailles mondiales et deux médailles olympiques, dont une obtenue en 2022 après une bataille juridique, débouchant sur un partage de la troisième place avec l’allemande Daniela Maier. Avec le snowboarder Iouri Podladtchikov ou encore Géraldine Fassnacht, Fanny Smith incarne aussi les transformations contemporaines de la glisse sous tous ces aspects, vers le fun et l’extrême et une forme de reconnaissance qui dépasse les stricts cadres nationaux… un paysage dans lequel une compétition s’est hissée en quelques années au rang de haut-lieu du freeride.

En effet, avec le « Bec des Rosses » pour amphithéâtre, le ski freeride a trouvé à Verbier son point culminant. Organisée depuis 1996, la compétition est, au départ, réservée au snowboard, elle fait office de finale du « Freeride World Tour » pour décerner le titre suprême de chaque saison. D’apparence risqué, le projet reçoit d’emblée le soutien de la commune de Bagnes, mais aussi d’autres institutions liées au sauvetage en montagne, car l’écho médiatique permet de communiquer sur les bonnes pratiques à respecter. Depuis la fin des années 1990, les meilleurs snowboardeurs du monde, bientôt rejoint par les skieurs (en 2004) et les skieuses (en 2006) font de cette compétition leur objectif majeur, un lieu et un moment de pure adrénaline.

Marco Odermatt, nouveau géant!

Dernier arrivé dans le grand « cirque blanc », le skieur Marco Odermatt, originaire du canton de Nidwald impressionne à la fois par sa précocité, sa décontraction et sa manière d’appréhender les grands événements. Champion olympique à 24 ans, en 2022 à Pékin, il obtient ce sacre après avoir paradoxalement manqué sa descente (seulement septième) et être sorti en Super-G, créant une situation inhabituellement stressante avant le géant, sa discipline de prédilection. Le même hiver, il décroche le gros globe de la Coupe du monde de ski, succédant côté suisse à Peter Lüscher (1978-1979), Pirmin Zurbriggen (1983-1984, 1986-1987, 1987-1988, 1989-1990), Paul Accola (1991-1992) et Carlo Janka (2009-2010). Durant l’hiver 2022-2023, il remporte 2042 points (dépassant Hermann Maier et ses 2000 points), mais aussi 13 victoires et 22 podiums. A l’aise du géant à la descente, il remet au goût du jour, des formes de polyvalence qui avait tendance à disparaître de l’avant-scène du ski et plus largement du sport, il porte désormais chaque hiver les espoirs de tout un pays en s’élançant dans une course aux records célébrée par les médias fin de semaine après fin de semaine.


Cette histoire et beaucoup d’autres sont à retrouver dans l’ouvrage Le ski en Suisse, une histoire, paru début décembre 2023, sous la direction de Grégory Quin, Laurent Tissot et Jean-Philippe Leresche, aux éditions Château & Attinger.

Par ailleurs, tout au long de l’hiver, vous pourrez trouver différentes histoires dévoilées dans le cadre de ce blog, tous les quinze jours, selon le calendrier suivant:

1er novembre 2023 – Swiss Ski, une organisation plus que centenaire

15 novembre 2023 – Les remontées mécaniques: petite histoire de la fabrication des domaines skiables en Suisse

1er décembre 2023 – Les monitrices et les moniteurs, ces héros de l’hiver

15 décembre 2023 – Ski et tourisme… au-delà de la quête de l’or blanc

1er janvier 2024 – Le Lauberhorn, la reine des courses

15 janvier 2024 – Les Jeux olympiques de 1928 et 1948

1er février 2024 – Les camps de ski, ou la clé de voute de la démocratisation d’un sport national

15 février 2024 – Les héroïnes et les héros du ski

1er mars 2024 – Le Marathon d’Engadine

15 mars 2024 – Les canons à neige

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